Avant-propos
par Mutien-Omer
HOUZIAUX
(suite 1)
Orthographe et phonétique
Li Vicaîrîye don
Gamin d Cêles a dabord paru, chapitre
par chapitre dans la rubrique « Chîjes èt
Pasquéyes » du quotidien namurois Vers
lAvenir (1952-1964). Le texte ici présenté
est celui qui constitue le livre sorti en 1964 des presses
de lImprimerie L. Bourdeaux-Capelle. Le
dialecte étant essentiellement un langage parlé,
sa transcription ne répond pas à des règles
orthographiques aussi nettement fixées que pour
une langue de grande diffusion. Dans le cas présent,
il a néanmoins fallu, sous cet angle, réviser
sensiblement loriginal, de façon à
le mettre davantage en conformité avec le «
code » généralement adopté
de nos jours, à savoir ce quil est convenu
dappeler l « orthographe Feller ».
Toutefois, quelques libertés ont été
prises avec cette dernière lorsque, notamment
par analogie avec le français, certaines graphies
ont semblé de nature à accroître
la lisibilité du texte.
Il eût été sans intérêt
de signaler tout au long du texte les leçons
qui ont été revues. Donnons tout de
même quelques indications sur les options prises
en matière dorthographe.
Le phonème [k] est transcrit, selon lanalogie
avec le français, qu, c ou k.
Les consonnes finales muettes sont, pour
la même raison, « maintenues » (timps,
kitwad,
més, avoz, nèz : fr. temps, tord,
mais, avez, nez, etc.)
Le phonème [z] est noté
s si cette lettre est intervocalique (wasu,
wèsîre : fr. oser, osier, etc.),
mais si le mot français correspondant sécrit
avec z, on a noté z en wallon (doze,
dozin.ne, trêze, quatôze, wazon : fr.
douze, douzaine, treize, quatorze, gazon, etc.)
; pour dizeû(s), dizos (fr. [au-]dessus
[de], [au-](des)sous [de]), on a opté pour la
lettre z (en raison de lélision
de la voyelle dappui de dzeû, dzos).
Le même phonème est également transcrit
z lorsquil sert à éviter
lhiatus : po-z-awè (pour avoir),
on-z-èst (on est), etc.
Le phonème [h] (dit h aspiré)
nexiste pas en wallon de Celles (ni, plus généralement,
dans le dialecte namurois). Toutefois, un traitement
graphique particulier doit, dans certains cas, être
réservé à des mots comme aye
« haie », ote « hotte »,
outche « huche », awe «
houe », amia « hameau », etc.,
qui correspondent à des mots français
commençant par h aspiré et que,
par analogie, J. Houziaux écrivait généralement
avec h. Si ces mots sont employés en fonction
de sujet ou dobjet direct, le déterminant
qui les précède nest pas élidé
ou suivi par « -t- » (comme
dans si-t-ome) ou par un trait dunion :
li aye (et non laye), si ote
(et non si-t-ote), lès
outches (et non lès-outches), etc.
La présence, à linitiale de ces
mots, dun obstacle à la liaison se marque
également avec larticle indéfini,
masculin (on amia et non, avec dénasalisation
de on, on-amia), mais aussi féminin
: one aye se dit avec une courte pause après
larticle et une attaque nette de la (on
nentend pas [ònay], mais [òn | ay].
Si les mots du type cité sont précédés
dune préposition ou dune conjonction
de coordination, cette espèce de [h] «
fantôme », tout en permettant lélision
de larticle défini ou du pronom régime
(li : fr. le, la) ou de ladjectif
possessif (mi, ti, si : fr. mon, ton, son,
ma, ta, sa), interdit toutefois la liaison pure
et simple avec le mot qui précède : après
lapostrophe marquant lélision, il
y a comme un bref temps darrêt et une attaque
plus dure de la voyelle initiale du mot suivant. Puisque
ce phénomène ne peut, en orthographe Feller,
se noter par la lettre h (ni par la minute, ´,
utilisée dans Le Robert pour indiquer
un h aspiré), et pour en marquer tout
de même la présence, le h «
interdit » a été remplacé
par un blanc après lapostrophe : è
l_aye, avou s_ote, poûji è
l_oudje, dès côps d_awe ;
de même, opposera-t-on po lawè
[pò lawè] « pour lavoir
» à po l_awè [pòl
| awè] « pour le houer », et lon
écrira : èle satcheut foû di
s banc li maleureûs èpistifèrè
èt l_èrtcheut môgré
li [
] (elle extirpait de son banc le malheureux
pestiféré et le traînait malgré
lui) ; èle vineut do l_ukè (elle
venait de le héler).
Le trait dunion. En orthographe
wallonne, le trait dunion prend deux significations
distinctes : ou bien il a une valeur phonétique
de liaison, ou bien il relève de la syntaxe.
Mise en relation avec lopposition, en français,
saint / Saint- , cette
bivalence ma semblé devoir se traduire,
en wallon, par une distinction graphique. Par exemple,
si lon désigne une statue représentant
saint Éloi, on écrira, en français,
un saint Éloi ; en wallon, cela deviendra
on sint-Élwè : sint est
écrit avec une minuscule parce quil est
un nom commun désignant une statue (ou une image)
(1),
mais sint est suivi dun trait dunion
(obligatoire) pour marquer la liaison du t avec
la voyelle initiale É. Un cas tout à
fait particulier est celui de lopposition sint
Ôlin / Sint- Ôlin, à quoi correspondent,
respectivement, le français saint Hadelin
(désignant le saint, son image ou sa statue)
et Saint-Hadelin (donnant la dénomination
dune église consacrée au saint fondateur
de Celles, dune fontaine ou dune rue portant
son nom, ou désignant le jour de sa fête)
; dans Sint- Ôlin, lespace précédant
Ô indique que le trait dunion, présent
par analogie avec lorthographe grammaticale française,
nest pas un signe de liaison phonétique.
Laccent circonflexe a généralement
une double fonction : il modifie le timbre de la voyelle
(ô =[ó]/ o =[ò], è = [è]/
ê = )
et en accroît la durée. Cependant, parfois,
seul le timbre est affecté ; on citera seulement
ici le participe passé yeû (fr.
: eu), doccurrence très fréquente
: à Celles, dans yeû, le digramme
eû [Ø] (eu
fermé comme dans le fr. peu) est bref, mais il
est long dans fleûr... Notons ici que,
pour désigner une religieuse par son titre de
sur, on a adopté la graphie sûr
(et non seûr), par analogie avec le
français ; au terme français sur
désignant la parenté correspond, en
wallon namurois, le vocable soû (à Celles
: soûw). La transcription du participe passé
dawè (avoir), constante chez Joseph
Houziaux (qui écrit toujours yeû ),
invite à une brève remarque sur la question
générale de lécriture du
wallon. Lorthographe Feller, on le sait, ne permet
quune représentation approximative du dialecte
parlé. Mais, comme lont montré les
linguistes, outre que la notation phonétique
et louïe des enquêteurs elles-mêmes
ont leurs limites en matière de précision,
le même patois parlé en une localité
donnée peut, chez des autochtones de vieille
souche, varier dune personne à lautre,
voire, chez un même locuteur, dun moment
à lautre. Dans mon Enquête,
javais noté pour le fr. eu : D72
(Celles) iu [yu]. Lenquête menée
personnellement par Haust en 1936, au même point
D72, note : [ yù] (u ouvert) ET
[y] (avec les signes diacritiques ´ et )
; au point D73 (Custinne, contigu à D72), Haust
relève [y] (avec le signe diacritique ¯
et sans précision quant à laperture)
. Ces deux notations, commente L. Remacle, ont été
réunies « sous le même chef »
; « le fermé bref final peut
être la var. habituelle de ù, mais
il peut être aussi une variante de fermé
long, avec lequel [en dautres points de lALW]
il voisine et même coexiste (ALW, II, p.
229 et carte 83). » Un coup dil sur
le trapèze vocalique montre que les points darticulation
du [ù] (u ouvert) est fort proche de celui du
[] (avec le signe diacritique ´ ; eu fermé).
De la même manière, une lecture attentive
de la Vikérîye (et dautres
oeuvres dialectales de J. Houziaux) révèle,
çà et là, des « fluctuations
» phonétiques (par exemple, èou-ce
et èoû-ce) ; il a paru sage
dopter pour une certaine constance orthographique
(sans dailleurs espérer avoir pleinement
atteint cet objectif). Voir aussi lhésitation
entre +èle et +èlle, pronom personnel
sujet devant un verbe commençant par une voyelle
(ALW, II, notice et carte 32 et p. 103b).
En wallon, la graphie du prénom
Joseph est, par la volonté même de lauteur,
tantôt Josèf, tantôt Djôsèf.
Quand il sagit de lui-même, de la soeur
Joseph (son institutrice à lécole
gardienne) ou de saint Joseph, lauteur écrit
toujours Josèf : « cela, me confiait-il,
sonne plus français et moins campagnard que Djôsèf
», forme quil adopte pour tous les autres
« Joseph » cités. En France, massure-t-on,
lusage hésite entre le [ò] (ouvert)
et le [ó] (fermé) ; toutefois, Léon
WARNANT (Dictionnaire de la prononciation française
dans sa norme actuelle, Paris-Gembloux, Duculot,
1987, p. 818) indique un [ó] (o fermé)
pour Joseph, comme pour tous les (pré)noms commençant
par Jo suivi dun s intervocalique:
Josabeth, [
], Joséph(ine), [
], Josias.
|